11 mai 2012

L'impact social n'est pas une évidence

Mercredi dernier, grâce à une fondation avec laquelle je travaille, nous avons réuni 12 associations qui oeuvrent dans le domaine de l'éducation pour travailler sur la question de l'impact social. Soutien scolaire et péri-scolaire, ouverture culturelle, orientation professionnelle, ouverture à la science et aux mathématiques, accompagnement à la scolarité pour les enfants qui ne peuvent pas aller à l'école... chacune de ces associations développe des réponses nécessaires et souvent innovantes, mobilisent des ressources humaines et créent du lien social de manière très innovantes. Un grand nombre d'entre elles est reconnu par l'Education Nationale et les dispositifs publics de soutien à la jeunesse, et toutes ont su attirer l'attention de financeurs pour réaliser des projets souvent ambitieux. 


Mais à la question de l'impact généré et des transformations sociétales permises, la réponse n'est pas si évidente, et une journée n'a permis que l'ébauche de pistes de réflexions. Pour mesurer son impact social, il faut d'abord revenir à la question fondamentale de sa raison d'être, ou de ne plus être - car si une organisation arrive à apporter une réponse systémique à une problématique sociétale, elle devrait tendre à sa propre disparition, ou à la généralisation de la solution qu'elle met en oeuvre. Il faut aussi distinguer ses réalisations - ce que l'on accomplit et que l'on met en oeuvre - de ses résultats - ce que l'on permet de changer chez les publics avec lesquels on travaille et ses parties prenantes. Il faut également comprendre comment ces réalisations et ces résultats contribuent à un impact social, c'est à dire à des changements sociaux durables qui dépassent le champ de l'action, et dure par-delà les résultats pour s'ancrer chez les personnes, dans l'environnement et dans la société. Enfin, il faut définir des indicateurs et les mesurer, sans négliger les questions d'attribution - combien de l'impact me revient, et combien revient à d'autres facteurs. 

Mercredi n'a été qu'une première marche dans un processus d'accompagnement et d'outillage des associations participantes vers une meilleure appréhension de leur impact social, et a été l'occasion pour moi de tester et d'approfondir mes propres outils par rapport à une réalité d'action plurielle et complexe. Si vous souhaitez vous aussi expérimenter et avancer sur le sujet de l'impact social, je vous invite à nous rejoindre les  16 et 17 juin prochain dans le cadre d'un événement que j'organise avec mes collègues du collectif ci2iglobal à Bruxelles. Vous pouvez vous inscrire dès à présent en cliquant ici, et en savoir plus sur nos outils et notre approche en visitant notre site internet

2 févr. 2012

Les inégalités sociales sont le principal facteur de risque pour le monde en 2012. Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait?

Tous les ans, le World Economic Forum publie un rapport sur les principaux risques qui pèsent sur le monde et qui pourraient avoir un impact important dans les mois à venir, et a plus d'une fois anticipé les crises mondiales. La palme 2012 revient aux inégalités sociales et aux écarts de revenus entre les riches et les pauvres. L'effet Occupy Wall Street? La conséquence des crises en Afrique du Nord? 

Bien que peu surprenante a priori, l'apparition des inégalités sociales comme un risque pour la prospérité mondiale est en fait le contre pied d'une idée reçue des leaders politiques et économiques: la lutte contre les inégalités freine la croissance économique. En effet, il semble évident que mettre en place un système de protection sociale, de lutte contre les exclusion, de santé publique accessible à tous, d'accès au logement exige des ressources qui à leur tour justifient des prélèvements obligatoires, baissent la compétitivité des entreprises et/ou le pouvoir d'achat des communautés locales, etc. Cette idée ne date pas d'hier: dès 1974 l'économiste Okun démontrait par les chiffres que les choix politiques sont un compromis entre croissance et bien-être social

Ce que le rapport des risques du World Economic Forum nous dit, c'est que si la lutte contre les inégalités a un coût, l'accroissement du fossé entre les priviégiés et les exclus est de plus en plus risqué, et son coût de par conséquent de plus en plus lourd. Car certes il faut des moyens pour développer un système social, mais il faut des moyens de plus en plus important pour faire tenir un système inégalitaire en place et y permettre une prospérité économique. L'OECD s'est également penchée sur la question et a établi un ensemble de champs d'interventions pour lesquels l'action politique peut avoir un effet positif à la fois pour l'équité sociale et la croissance économique. Sans surprise, il apparaît qu'investir dans l'éducation, l'insertion sociale et économique des immigrants, la prévention du chômage est très rentable, et ce sur tous les plans. 

Espérons que ce message trouvera un écho dans l'oreille des leaders qui en période de crise coupent les budgets dédiés aux programmes sociaux et favorisent les intérêts économiques des grandes entreprises et des privilégiés. Ils parviendront peut-être à limiter les chiffres de la crise économique sur le court terme, mais la crise sociale latente n'en sera que d'autant plus menaçante, et la facture sur le long terme d'autant plus salée.

En tout cas, ils auront été prévenus. 

10 janv. 2012

9 janv. 2012

Investir dans 2012

2012 s'annonce comme une année difficile. La crise, on nous le répète, exige des sacrifices, et il semble que pour les pouvoirs publics ces sacrifices passent souvent par une baisse des budgets alloués au secteur social et à la qualité du service public. Les entreprises elles aussi coupent des budgets, réduisent leurs équipes, limitent les déplacements et déménagent dans des locaux plus petits. De là à couper leurs budgets RSE et philanthropiques, il n'y a qu'un pas. 

Je ne suis pas la seule à penser que ces sacrifices vont avoir un coût démesuré sur le long terme, et que la pression pour sauver l'euro et les banques nous fait oublier l'essentiel: si nous n'investissons pas dans l'amélioration de nos infrastructures sociales, si nous cessons d'accompagner les plus fragiles de nos concitoyens, demain c'est leur santé, leur chômage, leur délinquance qui nous coûtera encore plus cher. Et nous ne ferons que pérenniser une société fondamentalement inégalitaire, creuser le fossé entre les plus privilégiés et les plus pauvres, tout en pérennisant un modèle économique et social qui montre chaque jour un peu plus ses limites. 

Si les pouvoirs publics ne sont pas en mesure d'investir dans l'homme sous la pression des marchés financiers et dans une période d'élection, il va falloir aller chercher des capitaux privés et les convaincre qu'un investissement concerté, ciblé sur la création d'un impact social systémique sur des territoires fragiles, en permettant le développement, la collaboration et l'innovation d'acteurs politiques, économiques et sociaux, sera demain le plus rentable des investissements. Cet investissement permettra l'émergence de territoires où les entreprises peuvent s'implanter et innover, où les pouvoirs publics maîtrisent leurs dépenses sans sacrifier leur vision du service public et de la cohésion sociale, et où les habitants sont au coeur de la politique et de l'économie. 

5 déc. 2011

Les universités américaines s'intéressent à l'impact social... et cherchent à en créer

Un long silence de ma part... Pour la bonne cause. Je suis partie aux Etats-Unis avec pour objectif, entre autres, de rencontrer des chercheurs qui travaillent sur le sujet de l'impact et de l'innovation sociale dans certaines des plus grandes université américaine. Ce que j'ai trouvé? Des avancées sur le sujet. Des angles différents d'approche, des objectifs variés, des applications plus ou moins immédiates. Mais surtout un pragmatisme très américain pour traiter des sujets complexes, mais essentiels. 

Le premier défi, dans chaque université, a été de trouver la bonne porte d'entrée. Les départements d'économie? Il s'intéresse, dans certains cas, à la valeur économique de l'éducation (Université de Chicago), où aux stratégies pour le développement économique (à Yale par exemple). Les départements de "Social Work"? Ils s'intéressent en général aux méthodologies d'évaluation des actions sociales (NYU, University of Illinois), de la même manière que les départements de politique publique s'intéressent à l'évaluation des politiques publiques (Georgetown). Les écoles de business s'intéressent à l'angle de l'efficacité économique et des nouvelles pratiques managériales qui résulte de l'entrepreneuriat social (Stanford, Duke). Mais il ne faut pas négliger les apports importants des écoles de santé publique ou d'environnement, qui s'intéressent à l'impact sur des exemples très concrets et très utiles. 

Mais la vérité, c'est que le sujet de l'impact social est transversal et par nature pluridisciplinaire. Une approche systémique exige un regard d'experts sous tous les angles, et une analyse simultanée des problèmes, de leurs solutions et une évaluation des attributions et des impacts. Dans ce contexte, force est de reconnaître le rôle pionnier de certaines université qui ont mis en place des centres interdisciplinaires, réunissant des chercheurs d'une multitude de disciplines pour faire avancer le sujet. Citons notamment le MIT, dont le Poverty Action Lab fait figure de référence dans la matière (http://www.povertyactionlab.org/). Mais également l'université de Tulane à la Nouvelle Orléans, qui a mis en place le City, Culture and Community Program qui réunit des chercheurs en santé, en sciences et environnement, en architecture, en travail social et en économie pour inventer les solutions aux problèmes urbains d'aujourd'hui et de demain (http://tulane.edu/ccc/). Et l'université de Carnegie Mellon, dont le Heinz Institute for Social Innovation cherche  faire avancer la recherche sur les problèmes critiques de notre temps (http://www.heinz.cmu.edu/institute-for-social-innovation/about-the-isi/index.aspx). 

Le point commun de ces institutions et de ces programmes est leur pragmatisme et le sentiment d'urgence qui les oriente: il ne s'agit pas seulement de modéliser et de comprendre les problèmes, mais de trouver les clés de lectures et les leviers d'action pour anticiper, prévenir et apporter des réponses immédiates aux besoins de nos sociétés. Cette recherche ne peut se faire sans les entreprises, entrepreneurs sociaux et les décideurs politiques et économiques. Ce rapprochement entre le monde académique et la société civile ne peut qu'être salué, et devrait inspirer nos propres institutions de recherche en France. 

21 oct. 2011

L'impact social en action - l'expérience de Living Cities aux Etats-Unis

Avoir une approche systémique du changement social exige une capacité d'investissement importante et un horizon de temps qui permette de faire des ajustements, d'adapter les actions à l'écosystème et à ses évolutions, et éventuellement de rentabiliser l'investissement en économisant des coûts économiques et sociaux, en créant de la croissance et une nouvelle forme d'économie plus durable, localisée. 

Il n'est pas simple de trouver de tels investisseurs, avec de tels moyens, des objectifs de résultat à long terme et le courage de prendre un risque important, toujours soumis aux variations de la conjoncture économique et du climat socio-politique. Les Etats devraient être en mesure de le faire, mais les pressions électoralistes et la pression des citoyens en attente de résultats à court terme empêchent ce type de réflexion. Les entreprises sont soumises à la pression des actionnaires, et si les compagnies d'assurance ont compris l'enjeu de mettre en place des modèles de prévention elles ne sont pas encore dans une logique systémique qui permettrait à chaque individu de bénéficier des services sanitaires et sociaux de prévention les mieux adaptés à son profil de risque. Les Contrats d'Impact Social dont j'ai parlé dans mon précédent article sont une piste prometteuse, mais l'horizon de résultat à 7 ans, la difficulté à créer des portefeuilles d'investissement pertinents s'intéressant aux symptômes de problèmes aux causes complexes et le risque très élevé limite leur portée (bien que tout tende à croire que le modèle se développera de manière très significative dans les années à venir). 

Les mécènes privés, par contre, peuvent avoir un effet de levier très important sur le sujet: Les fondations qui se sont réunies pour former Living Cities (www.livingcities.org) l'ont bien compris. Cette coalition se penche sur la situation des communautés les plus en difficulté aux Etats-Unis et cherchent à développer un modèle d'investissement transversal, touchant aux domaines de l'éducation, de la santé, de l'environnement, du développement économique, de la participation civique afin de créer une dynamique systémique permettant à ces communautés de renverser des cercles vicieux dans lesquelles elles sont souvent prises. Living Cities existe depuis une vingtaine d'années, et a pu tirer des leçons importantes de ses réussites et de ses échecs.

Bien sûr toute action ne produit pas inévitablement les mêmes conséquences, mais en modélisant les interactions des différentes problématiques d'un territoire un se donne les moyens de produire un impact social très important. Living Cities a donc mis en place une cellule de recherche très innovante et leurs observations sont mises à la disposition de tous, s'appuyant sur la théorie des réseaux et la gestion du risque. Ces conclusions devraient servir de base aux politiques publiques et aux décisions de tout mécène qui veut garantir l'impact de son investissement. 

5 oct. 2011

Partir des usages et des risques, ou comment inverser la logique d'évaluation de l'impact social

Les défis liés à l'évaluation d'un projet social sont infinis. Au-delà de la difficulté de suivre des indicateurs, d'évaluer conjointement la qualité et la quantité d'un service rendu, il est souvent impossible d'attribuer un impact social à un projet ou à un autre, d'intégrer les influences conjoncturelles et individuelles, ou encore de trouver un juste équilibre entre externalités positives et négatives qui en aucun cas ne peuvent s'annuler, et doivent être prises en compte comme des valeurs absolues. 

Ces enjeux complexes posent une infinité de problèmes aux associations, entrepreneurs sociaux et financeurs, poussant les uns et les autres à développer des obligations de suivi et de reporting de plus en plus lourdes pour enfin répondre à la question: quel est l'impact de ce que je fais sur le problème que je cherche à résoudre? 

Je suis de plus en plus convaincue qu'on regarde le problème à l'envers. Il ne s'agit pas de mesurer l'impact d'un projet particulier, car il intervient en effet dans un écosystème de circonstances et d'actions individuelles et collectives. Il faut repartir des besoins et de la collectivité, et définir l'ensemble des impacts à susciter conjointement pour apporter un progrès durable. Prenons un quartier populaire. Le taux de chômage, la prévalence des problèmes de santé, la délinquance, la dégradation de l'éducation et de l'environnement sont autant de facteurs de risques et de mal-être social qui se nourrissent mutuellement. Une action d'accompagnement en faveur de l'emploi ne peut être efficace sans un effort de communication pour changer l'image des acteurs du quartier auprès des recruteurs; qui lui-même n'a pas de sens si la conjoncture économique n'est pas bonne, ou si les actions de formations et d'insertion professionnelle ne répondent pas aux besoins des entreprises, si les infrastructures de transports sont insuffisantes, etc. 

Cette chaîne de besoins et de facteurs de risques est connectée dans l'écosystème sociétal du quartier. Une cartographie approfondie des acteurs et des facteurs présents sur le territoire permet de découvrir les redondances, les maillons manquants, et les synergies à développer pour créer une dynamique vertueuse. La notion d'impact devient alors celle d'un impact collectif et collaboratif, et non plus l'impact d'une action donnée. Seule une approche systémique et transversale permettra sur le long terme de transformer les usages, de baisser les risques et d'améliorer le bien-être. 

Et le rôle du politique dans tout ça? Il s'agit de sortir d'une vision de court terme, qui exige des résultats à la prochaine élection; de sortir des favoritismes et des coups de communication. En s'appuyant sur une approche systémique, le politique se doit de fédérer les acteurs, de les inciter à travailler ensemble et à évaluer ensemble l'impact de leur action sur un territoire.