5 déc. 2011

Les universités américaines s'intéressent à l'impact social... et cherchent à en créer

Un long silence de ma part... Pour la bonne cause. Je suis partie aux Etats-Unis avec pour objectif, entre autres, de rencontrer des chercheurs qui travaillent sur le sujet de l'impact et de l'innovation sociale dans certaines des plus grandes université américaine. Ce que j'ai trouvé? Des avancées sur le sujet. Des angles différents d'approche, des objectifs variés, des applications plus ou moins immédiates. Mais surtout un pragmatisme très américain pour traiter des sujets complexes, mais essentiels. 

Le premier défi, dans chaque université, a été de trouver la bonne porte d'entrée. Les départements d'économie? Il s'intéresse, dans certains cas, à la valeur économique de l'éducation (Université de Chicago), où aux stratégies pour le développement économique (à Yale par exemple). Les départements de "Social Work"? Ils s'intéressent en général aux méthodologies d'évaluation des actions sociales (NYU, University of Illinois), de la même manière que les départements de politique publique s'intéressent à l'évaluation des politiques publiques (Georgetown). Les écoles de business s'intéressent à l'angle de l'efficacité économique et des nouvelles pratiques managériales qui résulte de l'entrepreneuriat social (Stanford, Duke). Mais il ne faut pas négliger les apports importants des écoles de santé publique ou d'environnement, qui s'intéressent à l'impact sur des exemples très concrets et très utiles. 

Mais la vérité, c'est que le sujet de l'impact social est transversal et par nature pluridisciplinaire. Une approche systémique exige un regard d'experts sous tous les angles, et une analyse simultanée des problèmes, de leurs solutions et une évaluation des attributions et des impacts. Dans ce contexte, force est de reconnaître le rôle pionnier de certaines université qui ont mis en place des centres interdisciplinaires, réunissant des chercheurs d'une multitude de disciplines pour faire avancer le sujet. Citons notamment le MIT, dont le Poverty Action Lab fait figure de référence dans la matière (http://www.povertyactionlab.org/). Mais également l'université de Tulane à la Nouvelle Orléans, qui a mis en place le City, Culture and Community Program qui réunit des chercheurs en santé, en sciences et environnement, en architecture, en travail social et en économie pour inventer les solutions aux problèmes urbains d'aujourd'hui et de demain (http://tulane.edu/ccc/). Et l'université de Carnegie Mellon, dont le Heinz Institute for Social Innovation cherche  faire avancer la recherche sur les problèmes critiques de notre temps (http://www.heinz.cmu.edu/institute-for-social-innovation/about-the-isi/index.aspx). 

Le point commun de ces institutions et de ces programmes est leur pragmatisme et le sentiment d'urgence qui les oriente: il ne s'agit pas seulement de modéliser et de comprendre les problèmes, mais de trouver les clés de lectures et les leviers d'action pour anticiper, prévenir et apporter des réponses immédiates aux besoins de nos sociétés. Cette recherche ne peut se faire sans les entreprises, entrepreneurs sociaux et les décideurs politiques et économiques. Ce rapprochement entre le monde académique et la société civile ne peut qu'être salué, et devrait inspirer nos propres institutions de recherche en France. 

21 oct. 2011

L'impact social en action - l'expérience de Living Cities aux Etats-Unis

Avoir une approche systémique du changement social exige une capacité d'investissement importante et un horizon de temps qui permette de faire des ajustements, d'adapter les actions à l'écosystème et à ses évolutions, et éventuellement de rentabiliser l'investissement en économisant des coûts économiques et sociaux, en créant de la croissance et une nouvelle forme d'économie plus durable, localisée. 

Il n'est pas simple de trouver de tels investisseurs, avec de tels moyens, des objectifs de résultat à long terme et le courage de prendre un risque important, toujours soumis aux variations de la conjoncture économique et du climat socio-politique. Les Etats devraient être en mesure de le faire, mais les pressions électoralistes et la pression des citoyens en attente de résultats à court terme empêchent ce type de réflexion. Les entreprises sont soumises à la pression des actionnaires, et si les compagnies d'assurance ont compris l'enjeu de mettre en place des modèles de prévention elles ne sont pas encore dans une logique systémique qui permettrait à chaque individu de bénéficier des services sanitaires et sociaux de prévention les mieux adaptés à son profil de risque. Les Contrats d'Impact Social dont j'ai parlé dans mon précédent article sont une piste prometteuse, mais l'horizon de résultat à 7 ans, la difficulté à créer des portefeuilles d'investissement pertinents s'intéressant aux symptômes de problèmes aux causes complexes et le risque très élevé limite leur portée (bien que tout tende à croire que le modèle se développera de manière très significative dans les années à venir). 

Les mécènes privés, par contre, peuvent avoir un effet de levier très important sur le sujet: Les fondations qui se sont réunies pour former Living Cities (www.livingcities.org) l'ont bien compris. Cette coalition se penche sur la situation des communautés les plus en difficulté aux Etats-Unis et cherchent à développer un modèle d'investissement transversal, touchant aux domaines de l'éducation, de la santé, de l'environnement, du développement économique, de la participation civique afin de créer une dynamique systémique permettant à ces communautés de renverser des cercles vicieux dans lesquelles elles sont souvent prises. Living Cities existe depuis une vingtaine d'années, et a pu tirer des leçons importantes de ses réussites et de ses échecs.

Bien sûr toute action ne produit pas inévitablement les mêmes conséquences, mais en modélisant les interactions des différentes problématiques d'un territoire un se donne les moyens de produire un impact social très important. Living Cities a donc mis en place une cellule de recherche très innovante et leurs observations sont mises à la disposition de tous, s'appuyant sur la théorie des réseaux et la gestion du risque. Ces conclusions devraient servir de base aux politiques publiques et aux décisions de tout mécène qui veut garantir l'impact de son investissement. 

5 oct. 2011

Partir des usages et des risques, ou comment inverser la logique d'évaluation de l'impact social

Les défis liés à l'évaluation d'un projet social sont infinis. Au-delà de la difficulté de suivre des indicateurs, d'évaluer conjointement la qualité et la quantité d'un service rendu, il est souvent impossible d'attribuer un impact social à un projet ou à un autre, d'intégrer les influences conjoncturelles et individuelles, ou encore de trouver un juste équilibre entre externalités positives et négatives qui en aucun cas ne peuvent s'annuler, et doivent être prises en compte comme des valeurs absolues. 

Ces enjeux complexes posent une infinité de problèmes aux associations, entrepreneurs sociaux et financeurs, poussant les uns et les autres à développer des obligations de suivi et de reporting de plus en plus lourdes pour enfin répondre à la question: quel est l'impact de ce que je fais sur le problème que je cherche à résoudre? 

Je suis de plus en plus convaincue qu'on regarde le problème à l'envers. Il ne s'agit pas de mesurer l'impact d'un projet particulier, car il intervient en effet dans un écosystème de circonstances et d'actions individuelles et collectives. Il faut repartir des besoins et de la collectivité, et définir l'ensemble des impacts à susciter conjointement pour apporter un progrès durable. Prenons un quartier populaire. Le taux de chômage, la prévalence des problèmes de santé, la délinquance, la dégradation de l'éducation et de l'environnement sont autant de facteurs de risques et de mal-être social qui se nourrissent mutuellement. Une action d'accompagnement en faveur de l'emploi ne peut être efficace sans un effort de communication pour changer l'image des acteurs du quartier auprès des recruteurs; qui lui-même n'a pas de sens si la conjoncture économique n'est pas bonne, ou si les actions de formations et d'insertion professionnelle ne répondent pas aux besoins des entreprises, si les infrastructures de transports sont insuffisantes, etc. 

Cette chaîne de besoins et de facteurs de risques est connectée dans l'écosystème sociétal du quartier. Une cartographie approfondie des acteurs et des facteurs présents sur le territoire permet de découvrir les redondances, les maillons manquants, et les synergies à développer pour créer une dynamique vertueuse. La notion d'impact devient alors celle d'un impact collectif et collaboratif, et non plus l'impact d'une action donnée. Seule une approche systémique et transversale permettra sur le long terme de transformer les usages, de baisser les risques et d'améliorer le bien-être. 

Et le rôle du politique dans tout ça? Il s'agit de sortir d'une vision de court terme, qui exige des résultats à la prochaine élection; de sortir des favoritismes et des coups de communication. En s'appuyant sur une approche systémique, le politique se doit de fédérer les acteurs, de les inciter à travailler ensemble et à évaluer ensemble l'impact de leur action sur un territoire. 

21 sept. 2011

Les Contrats d'Impact Social: rémunérer la prévention des risques sociaux

La nouvelle est restée presque invisible en France. Il y a un peu plus d'un an, le Royaume Uni lançait les Social Impact Bonds, ou Contrats d'Impact Social, un nouvel instrument financier permettant d'investir dans des programmes de prévention des risques sociaux à fort impact. Les Américains n'ont pas tardé à leur emboîter le pas, y voyant une piste innovante pour rémunérer l'impact social à sa juste valeur.

Les risques sociaux ont un coût énorme pour l'Etat, dans le domaine de la santé, de la prise en charge des personnes précarisée ou en perte d'autonomie, de la gestion de la délinquance et de leur traitement
Le modèle des social impact bonds permet d'investir efficacement dans la gestion des risques: partenariat entre l'Etat, des investisseurs privés et des prestataires de services sociaux, il constitue un véhicule d'investissement dans des programmes de prévention autour d'un enjeu de société précis - réduction de la délinquance, prévention de la récidive, autonomie de personnes âgées... Les investisseurs mettent à disposition des capitaux, les prestataires développent leur intervention et leur impact, et l'Etat rémunère l'investissement à hauteur de l'impact et donc des économies que l'investissement lui a permis de réaliser.

Si le modèle marche, il pourrait bien transformer la manière dont nous comprenons l'impact social et apporter de nouveaux flux de capitaux aux programmes les plus efficaces pour améliorer le bien être de communauté. Il va conduire à une révolution dans le secteur social, soumis à une exigence de résultats de plus en plus fortes. Le modèle comporte également des risques: toute intervention est soumis à des influences conjoncturelles, économiques et sociales, et tout impact n'est possible que dans un écosystème où les actions sont cohérentes et bien orchestrées. La clef du succès des Social Impact Bonds dépend donc du réalisme des investisseurs, de la diversification des actifs et des produits d'investissement pour garantir un retour sur investissement, et de véhicules de financement bien pensés. En un mot, les règles qui s'appliquent au monde de la finance pourraient demain s'appliquer au secteur sociaux.

Cela ne doit pas conduire à un désengagement de l'Etat, bien au contraire. A quand un modèle où l'on reconnaîtrait le rôle effectif de l'éducation, de la prévention santé, de l'accompagnement des travailleurs pour réduire les dépenses à long termes et donc la dette? A quand un budget étatique construit sur des échelles de temps qui intègrent les risques sociétaux à long terme?

Plus d'informations sur http://www.socialfinance.org.uk.

14 sept. 2011

Penser l'impact social comme une baisse du risque

Dès qu'il s'agit d'impact social, les investisseurs sociaux, qu'ils soient privés ou publics, se heurtent à un problème de taille: comment s'assurer que leur investissement était le plus pertinent? Comment décider entre deux structures en compétition pour des financements? Les indicateurs d'impact varient d'une structure à l'autre, et leur représentativité varie en fonction des populations visées, des impacts recherchés et des facteurs externes qui influencent l'action. Leur agrégation est complexe voire impossible: comment comparer une action d'accompagnement professionnel menée auprès de 100 personnes à des repas distribués à 10,000 personnes? Comment comparer planter 10 millions d'arbres et vacciner 100,000 enfants?

Les tentatives de monétisation cherchent à contourner ce problème. En agrégeant l'impact par une valeur unique, marchande, tel que l'euro ou le dollar, on peut tout comparer. Les techniques de monétisation s'appuient sur la valeur perçue par les parties prenantes, et sur l'actualisation de l'impact qu'aura une action menée à un instant t sur la durée de la vie d'une personne. D'où une réserve importante: la valeur perçue par l'un diffère de la valeur perçue par l'autre. En outre, toute action touchant à l'humain et s'insère dans un système complexe ou chaque élément a une influence et où il est difficile d'isoler l'impact précis d'une action. La monétisation s'appuie donc sur des hypothèses subjectives et peut facilement conduire à une manipulation des chiffres, comme le montrent les écarts entre des calculs de retour sur investissement social de plusieurs structures. Combien vaut une vie humaine? Comment valoriser l'impact que l'éducation d'un enfant aura sur son parcours de vie?

Imaginons un instant une nouvelle approche qui renverse la donne. Au lieu de partir de l'action et de son impact, partons de l'individu, de sa communauté, et du risque qui lui est associé. En fonction de l'âge, du milieu social et économique, du mode de vie, de l'environnement, etc., un profil de risque est associé à chacun d'entre nous. Les statistiques le montre: les variations de taux de chômage, les risques de santé, les niveaux de délinquance sont fortement influencés par notre profil et notre environnement. Dans ce contexte, les actions sociales que rencontre chaque individu ou chaque communauté a un impact direct: leur combinaison est plus ou moins efficace à baisser le risque sociétal. Baisse des risques de santé (voire de décès) pour les programmes de prévention, de dépistage, de soin. Baisse des risques de pauvreté et de chômage par l'éducation, l'accompagnement professionnel et la lutte contre les discrimination à l'emploi. Baisse des risques d'exclusion et de marginalisation pour l'accompagnement social, péri-scolaire, les actions sur le logement, etc. Baisse des risques de réchauffement climatique, de perte de la biodiversité, de catastrophe naturelle, de santé publique, pour les actions environnementale. Cette idée de la baisse du risque peut être déclinée à l'infini. Il ne s'agit plus alors d'identifier l'impact de tel ou tel action, mais de définir la combinaison de programmes sociaux qui permettent efficacement à une communauté et à ses membre de s'épanouir, en fonction du contexte et du profil de ses membres.

Là où l'idée devient intéressante, c'est quand on regarde les montants investis pour couvrir le risque et payer ses conséquences. Dans la logique actuelle, qui se préoccupe à court terme d'échéances électorales et de minimisation du budget investi dans l'action sociétale, on paye les conséquences de risques qui n'ont pas été anticipés et donc prévenus hier.

En raisonnant en terme de réduction des risques sur les 25 prochaines années (soit une génération) et en anticipant les coûts de l'inaction, les compagnies d'assurance, les gouvernement et les entreprises ont tout intérêt à ce que des programme robustes soient en place dès aujourd'hui pour éviter les coûts en escalade du diabète ou de la dépendance, du chômage et de la délinquance, de la dégradation de l'environnement socio-économique et de l'environnement. Dans cette logique, voir l'impact social comme un risque permet d'imaginer une infinité de pistes de financement pour le secteur social. Il ne reste plus qu'à imaginer les vecteurs d'investissement.

Passer d'une culture d'évaluation à une culture de performance

... évaluation, évaluation... Le mot est sur toutes les lèvres. Surtout dès qu'il est question de dérives associatives, de trous dans les dépenses publiques, de la professionalisation du secteur social, de la concurrence pour accéder aux financements privés, ou encore de la nécessaire mise en place de modèles économiques pérennes.

Mais la vérité c'est que l'enjeu ne se situe pas au niveau de l'évaluation. Avez-vous déjà étudié une structure de l'économie sociale et essayé d'évaluer son impact social? Il faut d'abord comprendre toutes les arcanes de son fonctionnement - qui, quoi, comment, combien, où, avec quels moyens... Il faut ensuite définir des indicateurs, quantitatifs et qualitatifs, qui permettront de capturer les résultats de l'action, avant de collecter des données. Il faut enfin positionner cet impact dans le champ plus large du problème et des autres parties prenantes pour évaluer à quel point cet impact est attribuable à la structure, et dans quelle mesure il est bon (ou non).

Autant dire que c'est une mission complexe, voire impossible. Définir ex ante les indicateurs de performance signifie qu'on a rarement pris le temps de collecter des données pertinentes, et que les calculs sont imparfaits. Les hypothèses nécessaires à toute évaluation biaisent également son résultat. La consolidation de données réduit la dimension quantitative de l'impact, et sa monétisation est forcément artificielle. Enfin le degré d'attribution est par définition subjectif.

Faut-il pour autant arrêter d'évaluer? Bien sûr que non. Mais l'évaluation doit apparaître comme un moyen, et non comme une fin, pour accompagner les structures, les équipes et leurs parties prenantes vers une culture de la performance. Une première évaluation permet de mettre en évidence des indicateurs à suivre, les points de tension et d'inexactitude, les approximations dans les pratiques et la communication. Elle permet aussi de souder les équipes autour d'une vision commune et d'avancer ensemble, plus vite vers un même but.

J'ai commencé à m'intéresser à l'impact social le jour où j'ai compris que l'essentiel de l'évaluation a lieu avant l'action, et non après. C'est parce qu'on s'est fixé des objectifs et un cadre, parce qu'on a défini les leviers à pousser et les points sur lesquels insister qu'on fait réellement une différence. L'évaluation n'est qu'une étape d'un processus, qui assure qu'une organisation garde le cap de l'impact social qu'elle cherche à produire, et que ses équipes restent mobilisés et aligné dans une vision commune de performance.