21 oct. 2011

L'impact social en action - l'expérience de Living Cities aux Etats-Unis

Avoir une approche systémique du changement social exige une capacité d'investissement importante et un horizon de temps qui permette de faire des ajustements, d'adapter les actions à l'écosystème et à ses évolutions, et éventuellement de rentabiliser l'investissement en économisant des coûts économiques et sociaux, en créant de la croissance et une nouvelle forme d'économie plus durable, localisée. 

Il n'est pas simple de trouver de tels investisseurs, avec de tels moyens, des objectifs de résultat à long terme et le courage de prendre un risque important, toujours soumis aux variations de la conjoncture économique et du climat socio-politique. Les Etats devraient être en mesure de le faire, mais les pressions électoralistes et la pression des citoyens en attente de résultats à court terme empêchent ce type de réflexion. Les entreprises sont soumises à la pression des actionnaires, et si les compagnies d'assurance ont compris l'enjeu de mettre en place des modèles de prévention elles ne sont pas encore dans une logique systémique qui permettrait à chaque individu de bénéficier des services sanitaires et sociaux de prévention les mieux adaptés à son profil de risque. Les Contrats d'Impact Social dont j'ai parlé dans mon précédent article sont une piste prometteuse, mais l'horizon de résultat à 7 ans, la difficulté à créer des portefeuilles d'investissement pertinents s'intéressant aux symptômes de problèmes aux causes complexes et le risque très élevé limite leur portée (bien que tout tende à croire que le modèle se développera de manière très significative dans les années à venir). 

Les mécènes privés, par contre, peuvent avoir un effet de levier très important sur le sujet: Les fondations qui se sont réunies pour former Living Cities (www.livingcities.org) l'ont bien compris. Cette coalition se penche sur la situation des communautés les plus en difficulté aux Etats-Unis et cherchent à développer un modèle d'investissement transversal, touchant aux domaines de l'éducation, de la santé, de l'environnement, du développement économique, de la participation civique afin de créer une dynamique systémique permettant à ces communautés de renverser des cercles vicieux dans lesquelles elles sont souvent prises. Living Cities existe depuis une vingtaine d'années, et a pu tirer des leçons importantes de ses réussites et de ses échecs.

Bien sûr toute action ne produit pas inévitablement les mêmes conséquences, mais en modélisant les interactions des différentes problématiques d'un territoire un se donne les moyens de produire un impact social très important. Living Cities a donc mis en place une cellule de recherche très innovante et leurs observations sont mises à la disposition de tous, s'appuyant sur la théorie des réseaux et la gestion du risque. Ces conclusions devraient servir de base aux politiques publiques et aux décisions de tout mécène qui veut garantir l'impact de son investissement. 

5 oct. 2011

Partir des usages et des risques, ou comment inverser la logique d'évaluation de l'impact social

Les défis liés à l'évaluation d'un projet social sont infinis. Au-delà de la difficulté de suivre des indicateurs, d'évaluer conjointement la qualité et la quantité d'un service rendu, il est souvent impossible d'attribuer un impact social à un projet ou à un autre, d'intégrer les influences conjoncturelles et individuelles, ou encore de trouver un juste équilibre entre externalités positives et négatives qui en aucun cas ne peuvent s'annuler, et doivent être prises en compte comme des valeurs absolues. 

Ces enjeux complexes posent une infinité de problèmes aux associations, entrepreneurs sociaux et financeurs, poussant les uns et les autres à développer des obligations de suivi et de reporting de plus en plus lourdes pour enfin répondre à la question: quel est l'impact de ce que je fais sur le problème que je cherche à résoudre? 

Je suis de plus en plus convaincue qu'on regarde le problème à l'envers. Il ne s'agit pas de mesurer l'impact d'un projet particulier, car il intervient en effet dans un écosystème de circonstances et d'actions individuelles et collectives. Il faut repartir des besoins et de la collectivité, et définir l'ensemble des impacts à susciter conjointement pour apporter un progrès durable. Prenons un quartier populaire. Le taux de chômage, la prévalence des problèmes de santé, la délinquance, la dégradation de l'éducation et de l'environnement sont autant de facteurs de risques et de mal-être social qui se nourrissent mutuellement. Une action d'accompagnement en faveur de l'emploi ne peut être efficace sans un effort de communication pour changer l'image des acteurs du quartier auprès des recruteurs; qui lui-même n'a pas de sens si la conjoncture économique n'est pas bonne, ou si les actions de formations et d'insertion professionnelle ne répondent pas aux besoins des entreprises, si les infrastructures de transports sont insuffisantes, etc. 

Cette chaîne de besoins et de facteurs de risques est connectée dans l'écosystème sociétal du quartier. Une cartographie approfondie des acteurs et des facteurs présents sur le territoire permet de découvrir les redondances, les maillons manquants, et les synergies à développer pour créer une dynamique vertueuse. La notion d'impact devient alors celle d'un impact collectif et collaboratif, et non plus l'impact d'une action donnée. Seule une approche systémique et transversale permettra sur le long terme de transformer les usages, de baisser les risques et d'améliorer le bien-être. 

Et le rôle du politique dans tout ça? Il s'agit de sortir d'une vision de court terme, qui exige des résultats à la prochaine élection; de sortir des favoritismes et des coups de communication. En s'appuyant sur une approche systémique, le politique se doit de fédérer les acteurs, de les inciter à travailler ensemble et à évaluer ensemble l'impact de leur action sur un territoire.