21 sept. 2011

Les Contrats d'Impact Social: rémunérer la prévention des risques sociaux

La nouvelle est restée presque invisible en France. Il y a un peu plus d'un an, le Royaume Uni lançait les Social Impact Bonds, ou Contrats d'Impact Social, un nouvel instrument financier permettant d'investir dans des programmes de prévention des risques sociaux à fort impact. Les Américains n'ont pas tardé à leur emboîter le pas, y voyant une piste innovante pour rémunérer l'impact social à sa juste valeur.

Les risques sociaux ont un coût énorme pour l'Etat, dans le domaine de la santé, de la prise en charge des personnes précarisée ou en perte d'autonomie, de la gestion de la délinquance et de leur traitement
Le modèle des social impact bonds permet d'investir efficacement dans la gestion des risques: partenariat entre l'Etat, des investisseurs privés et des prestataires de services sociaux, il constitue un véhicule d'investissement dans des programmes de prévention autour d'un enjeu de société précis - réduction de la délinquance, prévention de la récidive, autonomie de personnes âgées... Les investisseurs mettent à disposition des capitaux, les prestataires développent leur intervention et leur impact, et l'Etat rémunère l'investissement à hauteur de l'impact et donc des économies que l'investissement lui a permis de réaliser.

Si le modèle marche, il pourrait bien transformer la manière dont nous comprenons l'impact social et apporter de nouveaux flux de capitaux aux programmes les plus efficaces pour améliorer le bien être de communauté. Il va conduire à une révolution dans le secteur social, soumis à une exigence de résultats de plus en plus fortes. Le modèle comporte également des risques: toute intervention est soumis à des influences conjoncturelles, économiques et sociales, et tout impact n'est possible que dans un écosystème où les actions sont cohérentes et bien orchestrées. La clef du succès des Social Impact Bonds dépend donc du réalisme des investisseurs, de la diversification des actifs et des produits d'investissement pour garantir un retour sur investissement, et de véhicules de financement bien pensés. En un mot, les règles qui s'appliquent au monde de la finance pourraient demain s'appliquer au secteur sociaux.

Cela ne doit pas conduire à un désengagement de l'Etat, bien au contraire. A quand un modèle où l'on reconnaîtrait le rôle effectif de l'éducation, de la prévention santé, de l'accompagnement des travailleurs pour réduire les dépenses à long termes et donc la dette? A quand un budget étatique construit sur des échelles de temps qui intègrent les risques sociétaux à long terme?

Plus d'informations sur http://www.socialfinance.org.uk.

14 sept. 2011

Penser l'impact social comme une baisse du risque

Dès qu'il s'agit d'impact social, les investisseurs sociaux, qu'ils soient privés ou publics, se heurtent à un problème de taille: comment s'assurer que leur investissement était le plus pertinent? Comment décider entre deux structures en compétition pour des financements? Les indicateurs d'impact varient d'une structure à l'autre, et leur représentativité varie en fonction des populations visées, des impacts recherchés et des facteurs externes qui influencent l'action. Leur agrégation est complexe voire impossible: comment comparer une action d'accompagnement professionnel menée auprès de 100 personnes à des repas distribués à 10,000 personnes? Comment comparer planter 10 millions d'arbres et vacciner 100,000 enfants?

Les tentatives de monétisation cherchent à contourner ce problème. En agrégeant l'impact par une valeur unique, marchande, tel que l'euro ou le dollar, on peut tout comparer. Les techniques de monétisation s'appuient sur la valeur perçue par les parties prenantes, et sur l'actualisation de l'impact qu'aura une action menée à un instant t sur la durée de la vie d'une personne. D'où une réserve importante: la valeur perçue par l'un diffère de la valeur perçue par l'autre. En outre, toute action touchant à l'humain et s'insère dans un système complexe ou chaque élément a une influence et où il est difficile d'isoler l'impact précis d'une action. La monétisation s'appuie donc sur des hypothèses subjectives et peut facilement conduire à une manipulation des chiffres, comme le montrent les écarts entre des calculs de retour sur investissement social de plusieurs structures. Combien vaut une vie humaine? Comment valoriser l'impact que l'éducation d'un enfant aura sur son parcours de vie?

Imaginons un instant une nouvelle approche qui renverse la donne. Au lieu de partir de l'action et de son impact, partons de l'individu, de sa communauté, et du risque qui lui est associé. En fonction de l'âge, du milieu social et économique, du mode de vie, de l'environnement, etc., un profil de risque est associé à chacun d'entre nous. Les statistiques le montre: les variations de taux de chômage, les risques de santé, les niveaux de délinquance sont fortement influencés par notre profil et notre environnement. Dans ce contexte, les actions sociales que rencontre chaque individu ou chaque communauté a un impact direct: leur combinaison est plus ou moins efficace à baisser le risque sociétal. Baisse des risques de santé (voire de décès) pour les programmes de prévention, de dépistage, de soin. Baisse des risques de pauvreté et de chômage par l'éducation, l'accompagnement professionnel et la lutte contre les discrimination à l'emploi. Baisse des risques d'exclusion et de marginalisation pour l'accompagnement social, péri-scolaire, les actions sur le logement, etc. Baisse des risques de réchauffement climatique, de perte de la biodiversité, de catastrophe naturelle, de santé publique, pour les actions environnementale. Cette idée de la baisse du risque peut être déclinée à l'infini. Il ne s'agit plus alors d'identifier l'impact de tel ou tel action, mais de définir la combinaison de programmes sociaux qui permettent efficacement à une communauté et à ses membre de s'épanouir, en fonction du contexte et du profil de ses membres.

Là où l'idée devient intéressante, c'est quand on regarde les montants investis pour couvrir le risque et payer ses conséquences. Dans la logique actuelle, qui se préoccupe à court terme d'échéances électorales et de minimisation du budget investi dans l'action sociétale, on paye les conséquences de risques qui n'ont pas été anticipés et donc prévenus hier.

En raisonnant en terme de réduction des risques sur les 25 prochaines années (soit une génération) et en anticipant les coûts de l'inaction, les compagnies d'assurance, les gouvernement et les entreprises ont tout intérêt à ce que des programme robustes soient en place dès aujourd'hui pour éviter les coûts en escalade du diabète ou de la dépendance, du chômage et de la délinquance, de la dégradation de l'environnement socio-économique et de l'environnement. Dans cette logique, voir l'impact social comme un risque permet d'imaginer une infinité de pistes de financement pour le secteur social. Il ne reste plus qu'à imaginer les vecteurs d'investissement.

Passer d'une culture d'évaluation à une culture de performance

... évaluation, évaluation... Le mot est sur toutes les lèvres. Surtout dès qu'il est question de dérives associatives, de trous dans les dépenses publiques, de la professionalisation du secteur social, de la concurrence pour accéder aux financements privés, ou encore de la nécessaire mise en place de modèles économiques pérennes.

Mais la vérité c'est que l'enjeu ne se situe pas au niveau de l'évaluation. Avez-vous déjà étudié une structure de l'économie sociale et essayé d'évaluer son impact social? Il faut d'abord comprendre toutes les arcanes de son fonctionnement - qui, quoi, comment, combien, où, avec quels moyens... Il faut ensuite définir des indicateurs, quantitatifs et qualitatifs, qui permettront de capturer les résultats de l'action, avant de collecter des données. Il faut enfin positionner cet impact dans le champ plus large du problème et des autres parties prenantes pour évaluer à quel point cet impact est attribuable à la structure, et dans quelle mesure il est bon (ou non).

Autant dire que c'est une mission complexe, voire impossible. Définir ex ante les indicateurs de performance signifie qu'on a rarement pris le temps de collecter des données pertinentes, et que les calculs sont imparfaits. Les hypothèses nécessaires à toute évaluation biaisent également son résultat. La consolidation de données réduit la dimension quantitative de l'impact, et sa monétisation est forcément artificielle. Enfin le degré d'attribution est par définition subjectif.

Faut-il pour autant arrêter d'évaluer? Bien sûr que non. Mais l'évaluation doit apparaître comme un moyen, et non comme une fin, pour accompagner les structures, les équipes et leurs parties prenantes vers une culture de la performance. Une première évaluation permet de mettre en évidence des indicateurs à suivre, les points de tension et d'inexactitude, les approximations dans les pratiques et la communication. Elle permet aussi de souder les équipes autour d'une vision commune et d'avancer ensemble, plus vite vers un même but.

J'ai commencé à m'intéresser à l'impact social le jour où j'ai compris que l'essentiel de l'évaluation a lieu avant l'action, et non après. C'est parce qu'on s'est fixé des objectifs et un cadre, parce qu'on a défini les leviers à pousser et les points sur lesquels insister qu'on fait réellement une différence. L'évaluation n'est qu'une étape d'un processus, qui assure qu'une organisation garde le cap de l'impact social qu'elle cherche à produire, et que ses équipes restent mobilisés et aligné dans une vision commune de performance.